Histoire d’un destin gersois : Pierre-Henri Petitbon (1910-1940)

Beaucoup de gersois ont couru dans la « Cour Pierre Petitbon » du collège Salinis sans connaître la vie exceptionnelle de cet homme qui fût mon grand-oncle. Avec Jean-Paul Fontan, nous sommes partis à la recherche du destin unique de ce grand gascon

Article publié dans le numéro 435 du Bulletin de la Société Archéologique, Historique, Littéraire et Scientifique du Gers

par Jean-René Cazeneuve et Jean-Paul Fontan

Juillet 2020

Dunkerque, 1er juin 1940

            Il est 10 h 45 ce 1er juin 1940 sur cette plage de Dunkerque encombrée de véhicules et matériels militaires abandonnés. Arrivé la veille, le lieutenant Pierre-Henri Petitbon, du 7e Régiment de tirailleurs marocains, a eu le temps d’écrire une dernière lettre à son père dont voici un extrait : (Illustr.1)

« Contre toute attente, je suis encore vivant et encore libre avec quelques-uns de la feu Division marocaine, avec encore 2 ou 3 chances de m’en sortir. Si je meurs, je te confie Huguette, tu l’aideras à éditer Simples ».

Dernière lettre de Pierre Petitbon adressée à son père le 30/05/1940 (archives familiales)

            Pierre-Henri a passé la nuit dans un trou qu’il a creusé dans les dunes, face au quai d’embecquetage, au côté du sous-lieutenant Ané. Il n’a pu éviter des éclats d’obus qui l’ont blessé légèrement, un à la jambe, un au visage. Il est épuisé après trois semaines de violents combats et de marches incessantes lors de la bataille de France, mais l’espoir d’échapper à la nasse allemande est maintenant concrétisé par le « Brighton Queen ». Ce bâtiment de la marine anglaise, de type vapeur avec roues à aubes de 74,7 mètres, vient d’arriver après une première rotation réussie vers Douvres dans le cadre de l’Opération Dynamo. Dans le chaos de la déroute, sept-cents soldats, majoritairement français, embarquent en bon ordre sur le bateau qui peut rapidement repartir vers 11 h 10 par la « route dite X », direction Margate en Angleterre. Vers 12 h 05, alors que la bouée n°5 vient d’être doublée, une formation de sept stukas allemands percent les nuages et fondent sur les bateaux « Brighton Queen » et « Scotia » pour larguer des obus de deux-cents livres. Trois avions ciblent le « Brighton Queen » et le touchent à tribord arrière. Rapidement, le bâtiment gîte et coule en cinq minutes. Ceux qui le peuvent sautent sur des radeaux de fortune, que les stukas viennent mitrailler lors d’un ultime passage pour parachever leur œuvre de mort. Plus de trois-cents soldats disparaissent, mortellement blessés ou noyés[2].

Ainsi meurt Pierre-Henri Petitbon, un grand gascon.

Sa jeunesse

             Il est né à Saint-Sever dans les Landes, trente ans auparavant, le 30 avril 1910. Sa famille est originaire de Monein, près de Pau. Son grand-père Jean Petitbon, charpentier, a profité du pécule touché en remplacement d’un conscrit tiré au sort, pour s’établir à son compte et pouvoir payer l’école à son fils, repéré par un instituteur pour ses prédispositions. Celui-ci, Albert Petitbon entre à l’Ecole Normale et devient instituteur successivement à Oloron, Pau, Séméacq-Blachon, Gélos, puis inspecteur primaire à Saint-Sever et Auch où il arrive en 1912. Il se marie le 24 septembre 1901 avec Marie Elise Berthe Recondo, artiste peintre, que la légende familiale apparente à Bernadette Soubirous. Ils ont deux enfants, René l’aîné et Pierre qui arrive donc à Auch à l’âge de deux ans.

             Albert Petitbon, mobilisé dès 1914 en qualité de caporal, fait toute la guerre et termine lieutenant dans la Territoriale. Dans le Auch de l’entre-deux guerres, il fait partie des notables : il est Croix de guerre avec étoile d’argent, Officier des académies (ancêtre des palmes académiques), Officier de l’Instruction publique, Chevalier du Mérite agricole, Chevalier puis Officier de la Légion d’Honneur.

« Inspecteur primaire d’élite, modèle de probité, de conscience professionnelle et de dévouement à l’école laïque à laquelle il a donné toute sa vie… …Hautement considéré dans ce département, sa promotion honorerait non seulement l’ancien inspecteur, mais l’enseignement tout entier ».

Extrait du descriptif accompagnant la demande de promotion au grade d’officier, par le président de l’association de la Légion d’Honneur du Gers

Sa belle-fille en fait un portrait moins élogieux :

« Mon beau-père est intelligent mais étranglé dans son carcan de vie auscitaine, prudent, susceptible, pétri de préjugés, de lieux communs, de morale scolaire. Sa vie consiste à évoluer entre les exigences de son confort et la hantise de l’opinion publique. Farci de manuels scolaires, toujours esclave de la lettre, il érigeait volontiers sa vie en exemple pour les petits grimauds de village»

Mémoires de Paulette Petitbon, archives familiales

             Pierre Petitbon a grandi dans l’ombre de ce père, instituteur sévère, austère, suffisant, voire vaniteux qui, membre de l’office départemental des anciens combattants (1922-1944) et président de l’association des officiers de réserve du Gers (1941-1947), cultive à l’excès le souvenir de la Grande Guerre et le sens du devoir. Les archives du Lycée Salinis[5] montrent que Petitbon a été un élève particulièrement précoce et brillant. De la 6e à la classe de Philo (actuelle terminale), nous avons retrouvé 26 « tableaux d’honneur » au compte-rendu des conseils du lycée, donnant les félicitations chaque trimestre ou quadrimestre. Sans exception, vingt-six fois sur vingt-six, le lycéen a obtenu le prix d’excellence. Il couronne cette exceptionnelle scolarité en 1927 avec un Baccalauréat obtenu à 17 ans.

            Mais c’est au-delà du Gers que Pierre Petitbon va exceller. Il obtient quatre prix au Concours général des écoles et lycées[6] ; en première, le 3e prix de français, le 2e prix de version grecque et le 2e prix de version latine ; en classe de philosophie, le 2e prix de philosophie[7]. Il est sans conteste un des tout meilleurs élèves que le lycée d’Auch n’ait jamais formés, mais nos recherches ne nous ont pas permis de vérifier si un autre élève en France avait fait mieux dans l’histoire du Concours général. Mais c’est peu probable.

             Après de tels résultats, il est difficile de dire que Pierre Petitbon est un enfant comme les autres. Pourtant, il s’adonne aux distractions d’un gamin de son âge. Il parcourt la campagne gersoise, chasse les cailles, collectionne les papillons, fait des confitures et des conserves de tomates. Il dévore les livres prêtés par ses instituteurs et fait du violon.

Vous l’imaginez chétif, rat de bibliothèque, renfermé ! Eh bien non, c’est un très beau jeune homme qui bientôt mesurera 1, 85 m, aux yeux bleus, qui pratique le tennis et brille aussi bien dans le sport que dans les épreuves intellectuelles.

             Ses brillants résultats lui permettent d’accéder à la crème des lycées français, Louis-le-Grand.

Le voilà parti à l’assaut de Paris, sur les traces de son frère aîné adoré, René. Sept ans auparavant, René Petitbon avait suivi les classes préparatoires à Louis-le-Grand, avait été admissible à l’ENS Ulm et échoué à l’agrégation après avoir été deux fois admissible. Mais cette fois, Pierre Petitbon va tout réussir, pour venger son frère, pour l’honneur des Petitbon…

Études supérieures

             Élève en classes préparatoires littéraires hypokhâgne et khâgne, il est boursier et interne. L’enseignement secondaire est payant, et, pour les enfants issus de catégories sociales modestes, le recours aux bourses, obtenues au début des études secondaires par concours, est le seul moyen d’entreprendre des études dans les lycées et les collèges. Il reste un brillant élève à Louis-le-Grand, qui regroupe pourtant les meilleurs élèves de toute la France. Les qualitatifs manquent à ses professeurs : remarquable, exceptionnel…

Quand on regarde son classement, trimestre après trimestre, dans une classe qui compte 80 élèves, le résultat est tout à fait stupéfiant. Il est pratiquement premier de sa classe une fois sur deux quelle que soit la matière. Il a par conséquent les félicitations à chacun des trimestres pendant sa scolarité à Louis-le-Grand.

            Il intègre du premier coup l’École normale supérieure d’Ulm en 1929 : promotion littéraire. Il n’y a à l’époque que deux concours d’entrée : littéraire et scientifique. Il est classé 8ième sur 29 reçus, parmi 228 candidats[8]. Jacques Soustelle (1912-1990) est major et René Etiemble 10ième [9]. L’école est ouverte aux femmes depuis deux ans, mais aucune ne l’a intégrée cette année-là.[10] Depuis peu, la scolarité à l’ENS est passée à quatre ans. Même s’il est malade une grande partie de la première année (il a une paratyphoïde B, maladie qu’il traîne longtemps, car les antibiotiques n’existent pas à cette époque), il obtient l’autorisation de passer une partie de ses examens un peu plus tard. Il va vivre quatre merveilleuses années au sein de l’élite intellectuelle française. Il passe différentes licences : latin, grec, français, grammaire, philosophie. Grâce à différentes bourses, il voyage en Europe (Grèce, Hongrie, Italie) et découvre l’Algérie. (Illustr.5)

Il est très intégré à la vie associative de l’école et écrit périodiquement dans la feuille de chou interne. Il fait son stage de préparation à l’agrégation au lycée Louis-le-Grand en février 1932.[11] Évidemment, sommes-nous tentés de dire, il obtient l’agrégation de lettres du premier coup en 1933. Il est classé 3ième sur 33.

            Pierre Petitbon achève ainsi un parcours académique exceptionnel. A la lumière de l’idéologie méritocratique de la IIIe République, l’École normale supérieure des années 1920 est, sans doute, l’une des filières de promotion les plus spectaculaires. En trois générations, un grand-père charpentier, un père instituteur, il est l’exemple parfait de cette promotion sociale par les études et le savoir, promue par notre République. Comme un certain Georges Pompidou avec lequel le parallèle est troublant, il fait partie des brillants élèves originaires du Sud-Ouest, fils d’instituteurs, qui partent à la conquête de Paris.

 Georges PompidouPierre-Henri Petitbon
PèreInstituteurInstituteur
Naissance9 juillet 191130 avril 1910
Lieu de naissance/jeunesseCantal / TarnLandes / Gers
LycéeAlbi (La Pérouse)Auch (Salinis)
Concours général1927 : #1 version grecque1926 : #3 Français, #2 version grecque, #2 version latine 1927 : #2 Philosophie 
Baccalauréat19281927
Classes préparatoiresLouis-le-GrandLouis-le-Grand
Admission ENS Ulm1931 #81929 #8
Sortie ENS Ulm19351933
AgrégéLettres 1934 #1Lettres 1933 #3

Service militaire

             Durant leurs études, les normaliens devaient effectuer pendant deux ans des périodes de Préparation Militaire Supérieure (PMS) pour obtenir un brevet et devenir élèves officiers de réserve pendant leur service. Cette préparation, ils l’effectuaient à la caserne de Lourcine, boulevard du Port-Royal. Un mouvement, qui a fait grand bruit à l’époque, oppose les élèves de l’ENS à la hiérarchie militaire, qui ne leur octroie pas les mêmes droits qu’aux élèves de Polytechnique[12]. Mais, élevé dans le culte de la nation et de l’obéissance, Pierre Petitbon ne signe pas la pétition contre la PMS et réussit sa préparation avec treize autres élèves de sa promotion 1929.

             Inscrit sur la liste du canton d’Auch sud et après avoir obtenu deux sursis pour terminer ses études, il part comme tous les normaliens littéraires à Saint Maixent effectuer son service militaire d’un an. Il est Officier Élève de Réserve de la promotion 1933-1934. Sous le matricule 904, il est nommé sous-lieutenant de réserve le 16 octobre 1933. A l’issue de son service militaire, il est nommé lieutenant de réserve affecté au 7e Régiment de tirailleurs marocains (RTM).

            Quand Pierre Petitbon termine son service militaire, qu’il a effectué évidemment avec les meilleures notes et appréciations de sa hiérarchie[13], il ne lui reste que cinq ans à vivre avant d’être mobilisé en 1939. Il va consacrer sa courte vie à son école et à la littérature : Normale Sup qu’il va immédiatement réintégrer pour en gravir les échelons administratifs, et la vie littéraire de l’entre-deux-guerres, dont il va être un acteur important, tout à la fois critique et poète.

Caïmans

             En 1934, après avoir effectué son service militaire, il intègre la structure des « caïmans » et devient agrégé-répétiteur avec Jean Cavaillès (promotion 1923) sous la responsabilité des caïmans Jean Thomas et Jean Bouillon (ENS 1923). Il est très jeune pour cette responsabilité, mais il fait tout avant les autres…

En 1936, il devient caïman [14] à part entière avec Jean Bouillon et comme agrégés-répétiteurs Maurice Merleau-Ponty (ENS 1926) et Jean Bérard (ENS 1929).Il est à ce titre caïman  de Georges Pompidou (ENS 1931) et sera proche de très nombreux normaliens, cette « génération intellectuelle » exceptionnelle, comme la décrira Jean-François Sirinelli. Beaucoup témoigneront, dans leurs mémoires ou à la Libération, du souvenir inoubliable que leur a laissé Pierre Petitbon.

Il devient ensuite Secrétaire puis Secrétaire général adjoint de l’École Normale Supérieure.

Pierre Petitbon et Aimé Césaire (1913-2008)

             Quoi de mieux pour illustrer son emprise sur ces camarades, que de parler d’Aimé Césaire, dont Pierre PETITBON a été en quelque sorte le « découvreur » et le mentor. Aimé Césaire arrive à Paris en 1931 au Lycée Louis-le-Grand. C’est un étudiant très engagé, membre du « Paris noir », cofondateur du journal L’Étudiant noir, adhérent aux jeunesses communistes et qui forge durant ses jeunes années le concept de la « Négritude ». Il intègre l’ENS en 1935 et a donc Petitbon comme caïman, qui détecte le talent de l’écrivain dans les dissertations de son « élève ».

« C’est curieux Césaire, vos dissertations sont très particulières, très intéressantes, elles ne ressemblent à aucune autre, j’ai l’impression qu’il y a quelque chose d’autre derrière. Vous n’écrivez pas ? ». Il apporte alors à son caïman le premier jet de Cahier d’un retour au pays natal. « Bien. C’est très bien. Je crois que vous devriez faire paraître ça dans une revue que nous faisons, Volontés » Petitbon lui demande de retravailler le manuscrit[15].

« … et surtout j’ai modifié la fin dans le sens que vous m’avez indiqué. Plus vertigineux et plus finales je crois », lui écrit Césaire[16].

Petitbon fait ensuite le nécessaire pour que ce texte paraisse dans le n°20 de la revue Volontés de 1939, créée par Raymond Queneau et Georges Pélorson. A sa parution, il passe quasi inaperçu, mais il deviendra ensuite l’œuvre la plus lue et la plus marquante d’Aimé Césaire.

Œuvre littéraire

             Pendant ces cinq années, Pierre Petitbon va également avoir une activité littéraire très riche. Il publie un essai Taine, Renan et Barrès : étude d’influence, avant de collaborer au journal Marianne.[17] Le Paris de l’entre-deux-guerres fourmille de revues littéraires dont les tirages sont faibles et l’existence parfois courte. Il collabore ainsi à au moins neuf publications:

– Nouvelle Revue de Hongrie : Nous avons retrouvé deux articles. L’un «emprunts à Rivarol » de 1935 et l’autre « au pays de la jeunesse » d’octobre 39,où il fait le récit de son voyage entre Paris et la cathédrale de Chartres sur les traces de Péguy,

– Charpentes, revue mensuelle d’expression française, dans les numéros 1 et 2 de juin et juillet 1939 de cette revue qui « préfère aux fondements fragiles d’une littérature pure, clinquante et factice, les bases solides d’une littérature sincère »,

– Messages, revue littéraire française de poésie dirigée par Jean Lescure. Il participe à son deuxième numéro en 1939 titré « Métaphysique et Poésie », (Illustr.6)

– Il est publié aux Annales de l’Université de Paris. Dans les volumes 14 et 15 de 1939, il écrit deux critiques sur « la poésie de Leconte de Lisle » et « édition critique des trois poèmes grecs de Leconte de Lisle »,

– La vie réelle, qui publie sept numéros de juillet 1937 à mai 1938 avec Apollinaire, Aragon, Proust, Supervielle…

– Il est membre du comité de rédaction de la revue Le Pont Mirabeau, qui se propose de regrouper ce qui, depuis le symbolisme, a cherché le sens le plus libre et le plus strict de la vie, non point par des formules, mais par l’expression. Il écrit dans le numéro 4.

– Il écrit également dans la revue Volontés, en particulier dans le numéro spécial sur le problème des « dictateurs de consciences » de juin 1939.

– Il collabore enfin à la revue Les poètes et la tradition. 

            Au-delà de sa place incontestable parmi les critiques littéraires qui comptent à la fin des années 30, Pierre Petitbon a écrit une œuvre poétique. Dans sa dernière lettre, il demande à son père d’éditer Simples. Cette œuvre manuscrite, composée de soixante-sept poèmes écrits entre 1937 et 1939, figure dans les archives[18] de René Brouillet (ENS 1930)[19]. Nous ne savons pas pourquoi elle n’a pas été publiée. Querelle familiale entre sa fiancée et son père ? Problème d’argent ?

Quels étaient les engagements de Pierre Petitbon ?

            L’entre-deux-guerres est une période traversée par de forts mouvements d’idées, de politique, de pensées, de courants artistiques et littéraires (Action française, Front populaire, pacifisme…) qui agitent le Quartier latin où Petitbon a vécu douze années. Il est peu probable qu’il soit passé à côté de tous ces mouvements, mais nous n’avons que très peu d’éléments pour le situer. Il prend sa carte de membre de la jeunesse SFIO du Gers en 1927, il est un barrésien engagé,[20] il est catholique comme en témoigne sa marche de Notre-Dame à Chartres sur les traces de Péguy, mais il ne semble pas s’être engagé politiquement à la veille de la guerre.

Deux dimensions cohabitent chez Petitbon :

      – La culture « Anciens combattants » est un des déterminants les plus forts de la vie politique de l’entre-deux-guerres. Fils de l’un d’entre eux,il a grandi toute sa prime jeunesse avec un père à la guerre. 

      – C’est un provincial. On sent dans ses textes ou dans le temps consacré aux fêtes de Vic-Fezensac, que sa culture gasconne est un élément essentiel de son identité. A la différence d’autres intellectuels de son temps, il n’était pas intégré dans des réseaux familiaux parisiens, qui évidemment jouaient un grand rôle. Cette dimension du « provincial », pour reprendre le vocabulaire de l’époque, est aussi un des éléments qui nourrit sa passion pour Barrès, qui en est le chantre. Il ne se jette pas corps et âme dans la vie parisienne. On sent qu’il privilégie la sociabilité normalienne, avec ses camarades, en particulier René Brouillet et René Etiemble[21]et qu’il se réfugie dans la littérature. Il garde une attache forte avec le Gers, il peut passer de longs mois hors de Paris, et les hommages posthumes qu’il a reçus proviennent plus de ses camarades que de figures de la haute société intellectuelle parisienne de ce temps. Il n’est pas de ceux qui rejettent leurs racines et prennent leurs distances avec leurs origines, sociales ou géographiques. Au contraire, les influences qu’il revendique sont, comme on dirait aujourd’hui, toutes des figures d’un « récit national » : Taine, Renan, Barrès. Il a fréquenté beaucoup de grands intellectuels de sa génération, de Soustelle à Pompidou, de Supervielle à Etiemble. Il a fréquenté les milieux littéraires et ses écrivains les plus illustres, mais restera fidèle à ses origines. Il ne faut pas non plus négliger l’influence de sa mère. Autant le père incarnait, par sa personnalité, son métier et son passé militaire, l’autorité, le devoir, le sens de l’effort et le savoir. Autant sa mère, cultivée, artiste et attentionnée, a pu nourrir sa personnalité complexe empreinte de modestie, de doutes et d’humanisme. Lui, qui pouvait tout faire, a choisi d’être poète…

Petitbon et Vic-Fezensac

            Pierre Petitbon a une relation privilégiée avec Vic-Fezensac. Comme le souligne le maire Albert Delucq, le jeune homme est un enfant adoptif de la ville. En effet, il a été élève au lycée d’Auch avec Jean Cartault[22], fils de médecins vicois. Les deux lycéens sont devenus amis et, dès qu’il en a l’occasion, le jeune homme fait une escapade à Vic pour se promener dans la campagne et profiter des festivités locales avec son ami. Il est un acteur majeur des fameuses « fêtes et cérémonies gallo-romaines en Aquitaine au IIIesiècle »[23], organisées à Vic-Fezensac le 6 juin 1937. Cette reconstitution grandiose a un retentissement national ; elle est relatée en particulier dans L’Illustration. C’est aussi à Vic-Fezensac qu’il prononce un grand discours le 28 mai 1939 à l’occasion de la commémoration des 150 ans de la Révolution française[24]   

La drôle de guerre

             A l’heure de la mobilisation, Jean Giraudoux (ENS 1903), qui vient d’être nommé Commissaire général à l’information avant d’être plus tard ministre de l’information, l’appelle à ses côtés en août 1939. Mais adepte de Péguy, mû par le sens du devoir, le pressentiment de son destin et la tradition familiale, Il refuse et préfère rejoindre son régiment, le 7e RTM au sein de la 1ère Division marocaine (1ère DM).

             C’est la « drôle de guerre ». Le 30 octobre 1939, le 7e RTM arrive à Bayonne en provenance de Meknès, où l’attend « l’échelon C », à savoir les réservistes : officiers, sous-officiers et hommes de troupe. Le 15 novembre, ils font mouvement vers le sud de la Meuse, à Fresnes-en-Woëvre. Le 18 décembre, ils se déplacent vers la Moselle, Amnéville, Koenigsmacker, Montenach. La 1ère DM est sur le front de Lorraine. En février 1940, c’est la Champagne, Vitry le François, Chalons sur Marne. En mars 1940, ils font mouvement dans le Nord, Maubeuge, Le Quesnoy. Petitbon est en cantonnement, en particulier à Berlaimont. (Illustr.7) Il vient d’être affecté à l’Etat-major de la division, au 4e bureau.

Le 7e RTM dans la bataille de France[25]

             Le 10 mai dans la matinée, l’alerte est donnée à la suite de la violation, par les Allemands, des frontières belge, hollandaise et luxembourgeoise. La division entame son mouvement le soir du 10 et franchit la frontière à 22 h. Elle parcourt 130 km en trois jours pour joindre Gembloux. Du 14 au 16 mai, c’est la bataille de Gembloux : la 1ère DM va combattre contre le corps blindé Hopffner, composé de deux divisions blindées : la 3e et la 4e Panzerdivision. C’est donc une bataille infanterie contre chars qui débute. Les troupes françaises arrêtent les forces allemandes et les combats, parfois au corps à corps, sont très violents. La division se préparait à tenir une nouvelle journée, mais la situation tragique de la 9e armée, au sud, va changer toute la donne. Le recul de cette armée devant les coups de boutoir des blindés allemands va amener l’ordre de repli de la 1ère armée. Les 17 et 18 mai, c’est le repli sur le canal de l’Escaut, où des combats ont lieu les 19 et 20, suivi du repli sur le canal de la Deule.

Le 26 mai, dès le lever du jour, une forte préparation de l’artillerie adverse marque le début de l’attaque générale. Malgré la résistance acharnée des tirailleurs, la situation devient très critique dans la zone du 7e RTM, dont les îlots de résistance sont progressivement submergés. Dans la nuit du 26 au 27 mai, la division débute son décrochage sur ordre. Le coup d’arrêt sur la Deule marque la dernière véritable action de défense encore cohérente au niveau de la division.

Lorsque la nuit tombe, les débris des régiments de la division décrochent par Gondrecourt vers Bac-à-Wavrin. Un détachement à base du 1er RTM arrive à franchir le canal au sud de Lambersart, avant l’arrivée des blindés allemands, et rejoindra Bailleul, puis Dunkerque, échappant ainsi à l’encerclement. Le 28 au matin, le général Mellier, commandant la 1ère DM, regroupe dans Lille-Canteleu les débris de sa division qui n’ont pas échappé à l’encerclement. Les combats dans la poche de Lille vont durer trois jours avant que, toutes les munitions épuisées, les unités ne soient submergées et capturées le 31 mai en fin d’après-midi. Les morceaux d’unités arrivés à Dunkerque se regroupent entre le 29 et le 30 mai. Certains se font tuer en participant à la défense du réduit. Le reste embarque le 1er juin sur quatre cargos anglais, dont deux sont atteints en mer par des bombes et coulent, tandis qu’un troisième touche une mine.

            Pierre Petitbon est un des 700 morts de la 1ère DM et un des 60 000 morts français de la campagne de France.

La mémoire de Pierre Petitbon

             N’ayant jamais reçu de témoignage direct de la noyade de son fils, Albert Petitbon a longtemps espéré qu’il ne soit pas mort. Il a fait de longues recherches auprès de la Croix Rouge internationale et de l’armée pour savoir s’il était prisonnier ou blessé. L’acte de décès ne date que du 24 octobre 1946. Il est nommé le 28 mars 1950 dans l’ordre national de la Légion d’honneur, à titre posthume, au grade de chevalier.

Une plaque en marbre à son nom, aujourd’hui disparue, a été posée à l’École normale supérieure le 28 juillet 1945 en présence d’Édouard Herriot. Le nom de Petitbon a été proposé pour baptiser le nouveau lycée d’Auch à sa construction en 1971, finalement appelé Pardailhan[26]. La cour d’honneur du collège Salinis porte son nom. Une plaque y a été posée le 7 septembre 1958 en présence de son frère. (Illustr.8) René Brouillet, alors ministre aux affaires algériennes, a prononcé un discours dont voici quelques extraits :

« Rue du tapis vert, j’ai retrouvé sur les murs le visage de cet enfant dont il a écrit un jour « qu’il ne pleurait pas quand ses camarades le battaient, mais quand ils cessaient de l’aimer » […] « A Louis-le-Grand, nos maîtres déclaraient n’avoir jamais eu entre leurs mains, élève plus riche de promesses. Il n’était pas de compétition d’où il ne sortit vainqueur. Je n’arrive pas à percevoir quel don lui manquait » […] « Puis ce fut l’agrégation expédiée comme une formalité ». […] Des mains amies conservent ses poèmes, étincelants d’images où s’est exprimée l’inspiration de sa 25ième à sa 28ième année. Poèmes marqués par une sorte de prescience de son destin, hantés par l’idée de je ne sais quel cataclysme dans lequel s’abîme le monde, hantés par l’idée de la mort. […] Le citant « O mon pays, toi qui es le trône d’une idée et non le parc d’une race, c’est parce que j’aime le genre humain que je t’aime, puisqu’aujourd’hui la cause du genre humain c’est la tienne ».

Un homme de lettres trop tôt disparu       

Parmi les nombreux textes du jeune écrivain emporté à la fleur de l’âge, l’essai Taine, Renan, Barrès : étude d’influence, les articles de la revue Marianne et le discours du 28 mai 1939 à Vic-Fezensac pour commémorer le 150ième anniversaire de la Révolution française, ont retenu toute notre attention.

Essai Taine, Renan, Barrès : étude d’influence

            Après son agrégation, Pierre Petitbon publie en 1934 un ouvrage de 150 pages intitulé Taine, Renan, Barrès : Étude d’influence.[27] (Illustr.9) Il est placé sous l’égide de la S.P.F.F.A.[28]Ces trois auteurs, aujourd’hui boudés par le grand public et rarement au programme des cursus universitaires actuels, ont une influence prépondérante dans la vie intellectuelle des années 1930. Comme Petitbon, les brillants universitaires ou futurs cadres de l’État ont l’obligation de s’abreuver à leurs œuvres littéraires, historiques ou philosophiques pour fortifier leurs convictions et parfaire leurs cursus.

            Hyppolyte Taine (1828-1893) est un précurseur de la sociologie. Pour lui, l’histoire appartient au même champ d’expérimentation que la physiologie ou les sciences naturelles et doit faire l’objet d’une démarche scientifique. Il applique sa méthode à son ouvrage majeur Les origines de la France contemporaine (1875). Le Voyage aux Pyrénées (1855)[29] et le Voyage en Italie (1866) offrent de précieux témoignages sur la vie du monde montagnard et de belles relations sur les monuments et les œuvres d’art des grandes villes italiennes.

            Ernest Renan (1823-1892) a consacré une partie de sa vie à l’étude des religions, comme en témoigne son Histoire des origines du christianisme en sept volumes. Dans La vie de Jésus, il soutient la thèse selon laquelle la Bible doit faire l’objet d’un examen critique comme n’importe quel document historique, s’attirant ainsi les foudres de l’Église catholique.

            De Maurice Barrès (1862-1923), la postérité a surtout retenu qu’il a été l’un des maîtres à penser de la droite nationaliste républicaine.[30]Mais son œuvre littéraire, méconnue de nos jours, dépasse le champ de ses convictions politiques. Elle a influencé une génération d’écrivains tels que Aragon, Bernanos, Mauriac ou Montherlant, de même que les penseurs de la génération de Petitbon, et son Étude d’influence en fait foi. Les Déracinés (1897) et La Colline inspirée (1913) font partie, ainsi que d’autres auxquels se réfère Petitbon dans son étude, des romans emblématiques de la pensée nationaliste et traditionaliste de Barrès.

            L’ébauche d’analyse ci-dessous tient lieu d’amorce de lecture à l’intention des personnes désirant lire l’essai,organisé de manière très scolaire : quatre chapitres exposés dans une table des matières (le premier composé de deux parties sous-titrées), divisés en paragraphes eux-mêmes sous-titrés et numérotés avec des chiffres romains, le tout précédé d’une introduction et suivi d’une conclusion.

Chapitre n°1: Les premières armes contre les maîtres : la rencontre avec M. Renan, le voyage avec M. Taine.

Chapitre n°2 : Dilettantisme et analyse.

Chapitre n°3 : L’attitude nationaliste.

Chapitre n°4 : L’attitude religieuse.

            Avant d’être les continuateurs de leur pensée, les disciples doivent se rebeller contre leurs maîtres. Tel est le sens du chapitre n°1, où Petitbon analyse les manifestations de cette rébellion.

Il montre que Barrès se rebelle contre Taine et Renan et, à son tour, porte un jugement critique sur l’œuvre de son mentor, avant de se l’approprier.

Les premières armes contre les maîtres

            Ernest Renan, illustre breton, préside le « Dîner celtique » (§I)  du 12 mars 1888 à l’Hôtel de la Marine, place de Rennes.[31] Il raconte avoir reçu chez lui, à Perros-Guirec, la visite d’un jeune homme, dont il n’a pas apprécié la curiosité. Ce visiteur n’est autre que Maurice Barrès. 

            On ignore si la rencontre avec M. Renan a réellement eu lieu, mais on sait que cette rencontre a une suite très polémique, car le jeune Barrès publie un récit intitulé Les Huit jours chez M. Renan (§II). Petitbon pense qu’il n’y a rien de méchant et de polémique dans les Huit jours, tout au plus une forme d’impertinence jugée avec cette formule : « Il était disciple du maître, jusque par l’irrespect ». Il s’agit de faire la part entre « Fiction et vérité » (§III) et l’essayiste démontre que, de quelques instants d’une visite d’un disciple à un maître vénéré, Barrès a écrit les Huit jours.

            Tout aussi symbolique est le voyage avec M. Taine. Cette seconde partie est, pour Petitbon, l’occasion de faire référence à un manuscrit non publié (Monsieur Taine en voyage), pendant aux Huit Jours chez M. Renan. Le normalien montre d’une part que le disciple raille son maître en narrant ses activités supposées, et d’autre part que Barrès a lu le Voyage en Italie de Taine « avec assez d’attention et d’intérêt pour en critiquer les impressions et les méthodes ».

Le §I Paysages italiens apporte la preuve de cette lecture attentive. Tout au long du paragraphe, Petitbon montre les différences entre Taine et Barrès dans le regard qu’ils portent sur les paysages et les monuments. Il cite longuement Voyage en Italie et Du sang, de la volupté et de la mort, pourexpliciter les démarches respectives du maître et du disciple :

– pour Taine, observation, démarche scientifique et abondante consultation livresque pour évoquer avec lyrisme des paysages italiens,mais surtout pour décrire la vie municipale des républiques italiennes du Moyen-âge et leurs conflits sanglants (Venise, Sienne, Pise, Florence, Pérouse…),

– pour Barrès, dédain de toute érudition devant les paysages, attitude romantique et nostalgique à souhait, rêve, méditation, recherche d’une nourriture à son âme et expression de sensations intimes vénitiennes traditionnelles. Et Petitbon de juger cette situation avec la verve ironique qui lui est coutumière : « Évidemment, la Venise qui naît dans cette chambre close n’est pas la Venise à laquelle sont habitués les pigeons et les touristes de la place Saint-Marc […] Évidemment, à un touriste consciencieux, je conseillerais plutôt M. Taine.

            Le dilettantisme[32]de Renan et l’analyse de Taine ont laissé des traces indélébiles sur la personnalité du jeune Barrès, développe Petitbon. Le roman national des Origines de la France contemporaine de Taine est, pour une large part, à l’origine de l’attitude nationaliste de l’écrivain, démontre-t-il. L’attitude religieuse du disciple est indissociable de la pensée de Renan, explicite-t-il encore : l’homme, même s’il ne croit pas en Dieu, a besoin de la poésie du divin afin de déployer son énergie et de satisfaire ses aspirations.

Ce que révèle Taine, Renan, Barrès, étude d’influence

           L’étude de Petitbon est relativement accessible à un lecteur averti et curieux. La belle langue classique, avec ses phrases courtes, son phrasé fluide, sa vivacité, ses métaphores, sa poésie, et ses traits saillants parfois teintés d’humour, favorise grandement cette accessibilité. Des images fortes, un lyrisme sobre et dépourvu de grandiloquence, suffisent amplement à l’auteur pour expliquer, avec un sens aigu de la pédagogie, tel ou tel concept parfois ardu ou abscons. Son texte subtil et abondamment documenté donne envie de découvrir ou de redécouvrir l’œuvre admirable et foisonnante de Barrès, essayiste et romancier majeur de la littérature française, ami d’Émile Zola et de Léon Blum. L’ouvrage met en lumière les hautes potentialités intellectuelles en même temps quela personnalité de son auteur.

Un jeune homme reconnaissant

 De Saint-Maixent, le 10 mars 1934, où il effectue son service militaire, le grand enfant, affectueux et facétieux, envoie le livre à ses parents, à son frère aîné et sa belle-sœur, avec ces dédicaces émouvantes : « à papa-maman, ce livre qui, dans ma pensée, leur est dédié, pour qu’ils oublient les souffrances que je leur ai injustement infligées. Leur fils Pierre » ; (Illustr.10)

«à René-Paulette, ses aînés et au kouks son contemporain. Ce premier vagissement universitaire du pauvre Rô[33], qui ne comprendra jamais rien à la vie, à la littérature et aux femmes ».

Toujours de Saint-Maixent, le 12 avril 1934, sa gratitude et son respect à l’égard de Maurice Barrès le conduisent tout naturellement à dédicacer son ouvrage à l’épouse et au fils du grand écrivain disparu dix ans plus tôt :

« à Madame Maurice Barrès et à Monsieur Philippe Barrès. J’offre timidement ce travail d’universitaire, mais aussi de jeune homme et de disciple, en témoignage de foi barrésienne et de fidélité aux enseignements du maître. »

Un ouvrage accueilli avec enthousiasme

Un condisciple aîné et sûrement âgé (qui signe RC) fait l’éloge du livre dans un bulletin des anciens élèves de Normale Sup de 1935 et porte ce jugement avec admiration et humilité : « J’ai été tout de suite confondu par la somme de travail, l’abondance de lectures que représente ce petit livre :  à vingt-cinq ans, Petitbon a déjà lu, la plume à la main, les œuvres entières de Renan, de Taine, de Barrès ; c’est prodigieux ! Et on dira que la jeunesse n’est pas studieuse ! Je n’ai pas lu le dixième des livres dont parle l’auteur et je ne trouverai sans doute jamais le temps de le faire dans les quelques années qui me restent à vivre ! ». [34]L’analyse de l’ouvragecorrobore en effet ce jugement.

L’essai de Petitbon reçoit un élogieux dans le milieu littéraire et journalistique, comme en témoigne une critique du magazine Candide n° 526 du 12 avril 1934[35] qui le qualifie de « livre remarquable, animé de la plus intelligente sympathie ».

Une affirmation de convictions profondes

 L’influence de Barrès a été déterminante dans les convictions politiques et religieuses de son jeune émule : « Précisons que Petitbon était fort catholique et qu’Etiemble ne l’était pas », affirme Jeanine Etiemble[36]. De son mentor, Petitbon s’approprie le catholicisme et le nationalisme.

Mais sa religiosité est sûrement tout en nuances, influencée par le dilettantisme de Renan, développé dans le chapitre n°2, où les rituels, les traditions, la culture, l’attachement aux églises, le sens du divin priment sur la foi mystique et dévote, voire fanatique.

Le nationalisme fait partie des valeurs profondes de Petitbon, mais il est empreint de convictions de gauche, humanistes et tolérantes[37]. En ce sens, il s’oppose à l’attitude nationaliste de Barrès, explicitée dans le chapitre n°2, et on ne relève aucun propos xénophobe, antisémite ou raciste dans les écrits du normalien. Ses idées nationalistes fortifient une foi patriotique pure, ardente et sincère qui l’amène au sacrifice de sa vie à Dunkerque.

           En ces temps troublés, la réflexion de Petitbon sur le nationalisme et la religion, concepts sans cesse récupérés, déformés et dévoyés, est plus que jamais d’actualité. Enfin, le jeune homme, en plus de sa vénération pour Barrès, montre que Taine et Renan, par leur contribution au développement des sciences humaines, ont donné des clés à l’historien pour analyser et comprendre les événements d’une période donnée.

L’accueil enthousiaste de son essai par le microcosme intellectuel parisien ouvre à Petitbon les portes de grands magazines, dans lesquels il rédige périodiquement des chroniques politiques ou littéraires de 1935 à 1939.

La collaboration au journal Marianne

            Gaston Gallimard fonde le magazine Marianne[38]en 1932 et fait appel à Emmanuel Berl[39] pour le diriger. Résolument ancré à gauche, l’hebdomadaire paraissant le mercredi fait partie de la mouvance pacifiste de l’entre-deux guerres. L’originalité du magazine réside dans ses caricatures et l’utilisation du photomontage. En ridiculisant régulièrement Hitler de manière exacerbée au cours de l’année 1939, le journal veut sensibiliser l’opinion à la dangerosité du personnage. (Illustr.11) Mussolini, Staline et Daladier sont également croqués par des dessinateurs talentueux.

            L’hebdomadaire, qui se définit comme « un grand hebdomadaire politique et littéraire illustré », cesse deparaître en août 1940. De grands écrivains (Antoine de Saint-Exupéry, Henry de Montherlant, Henri Troyat, Stephan Zweig), des journalistes renommés (Georges de la Fouchardière), des cinéastes (Jean Rostand), des musiciens (Georges Auric, Darius Milhaud), des chanteurs et poètes (Charles Trénet) apportent leur contribution régulière.

            Le jeune homme de vingt-huit ans écrit des chroniques au moins à douze reprises au cours des années 1938 et 1939 [40]. Tour à tour éditorialiste politique ou critique littéraire, il est annoncé généralement en une avec les autres chroniqueurs ; sa photo accompagne parfois le titre de l’article.

Cinq articles, parmi les douze étudiés, méritent une attention particulière.[41] (Illustr. 12 et 13)

 La folie, le désespoir, le rire, n° 301, Mercredi 27 juillet 1938

            « Entre une scène de film burlesque et une scène de comédie traditionnelle, il y a la même différence qu’entre un bandit mexicain avec son arsenal et un bourgeois pourvu d’un fusil de chasse ». Avec son sens de la métaphore, Pierre Petitbon montre ainsi que la manière de faire rire les gens a évolué. On est passé des pantins gesticulants comme Guignol, au cinéma qui « rejoint la farce » et le personnage de Mathurin (Popeye) est « la réplique moderne de Guignol ».

Les comédies traditionnelles (vaudevilles, opérettes, films populaires), connaissent toujours beaucoup de succès, mais elles sont supplantées par deux styles nouveaux : le burlesque et le loufoque.

            Le burlesque se manifeste dans les films américains de Charlot et des Marx Brothers.

A travers ses mimiques et ses déambulations, le premier est « un être humain auquel le spectateur s’identifie ». Les seconds sont des clowns, des personnages de dessins animés, « qui n’ont ni cœur, ni âme », et auxquels s’applique la formule du philosophe Henri Bergson (1859-1941) « le risible est du mécanique plaqué par du vivant ». Avec cette citation, Petitbon montre qu’il a lu au moins le livre Le rire : essai sur la signification du comique, paru en 1900.

            Le loufoque, en France, est représenté par le déraisonnement de l’humoriste et comédien Pierre Dac (1893-1975), inspiré par le surréalisme et Petitbon juge ainsi ce courant : « un ordre surréel où l’esprit s’affirme et se libère dans une création parodique ».

            Poésie et rire vont de pair, et Petitbon est sensible à celle qui se dégage de manière subtile dans le burlesque américain, « en larges nappes au moment où on s’y attend le moins », par le biais de romances, de danses ou simplement de la beauté d’un visage. Selon lui, le burlesque américain est supérieur au loufoque français, car la poésie y est omniprésente. « La poésie et le rire, les deux grandes voies d’évasion, se rejoignent aujourd’hui dans la folie », car le burlesque et le loufoque empruntent les attitudes du fou.

            Mais le chroniqueur revient toujours sur la situation présente, caractérisée par unpessimisme ambiant causé par la perspective de la guerre. Il pense que « les clubs de loufoques » ont une tâche « grandiose et désespérée » : « faire rire des condamnés à mort », des jeunes à l’horizon bouché, qui vieillissent prématurément car ils ont passé l’âge de rire.

Réarmer,n° 314, Mercredi 26 octobre 1938

            Trois semaines après la « paix sauvée » des accords de Munich, Petitbon exprime le grand soulagement du pays tout entier et, sûrement, le sien propre. Il veut croire en la paix, même s’il n’est peut-être pas dupe. Ce sentiment légitime, passé « le goût poignant de la première minute de paix et son exaltation pareille à un lâcher de colombes », ne doit être que passager.

             Après avoir connu une grande peur, Petitbon estime que la France a la nécessité absolue de faire taire toutes les formes de division et de discorde dont elle est capableet construire progressivement la paix à l’échelle européenne, indépendamment des idéologies des peuples (« ne plus se contenter de quelques calomnies sur les Allemands ou sur les Russes, mais les connaître. »)

Quoi de plus paradoxal et de plus subtil qu’un verbe du vocabulaire guerrier pour décliner un grand projet pacifiste ! « Réarmer, c’est au sens le plus pacifique que je l’entends », affirme avec force le jeune homme. Face « aux hurlements de Nuremberg et de Berlin », la France doit « procéder à une autre mobilisation, celle de ses forces spirituelles, à une autre réquisition, celle de ses énergies, de ses idées, de ses talents, de ses plus profondes ressources ».

            La politique pacifiste contre les menées hégémoniques d’Hitler doit se concrétiser de manière très ostensible :

– sur le plan sportif : construire des stades pour former des athlètes de très haut niveau, à l’image des coureurs Jean Bouin, Jules Ladoumègue et du champion de tennis Jean Borotra, et obtenir des médailles aux Jeux Olympiques,

– sur le plan technologique : développer les transports maritime et aérien avec la construction d’un autre paquebot comme le « Normandie » et réaliser « des records et des raids », à l’image des prouesses dans les airs de Jean Mermoz,

– sur le plan intellectuel : soutenir la recherche scientifique (« besoin du travail de tous nos laboratoires et d’un nouveau Pasteur »), donner toute leur place « aux lampes des fabricants d’idées » que sont les écrivains et les philosophes (Paul Claudel, Jean Giraudoux, François Mauriac, Jules Romains, Henri Bergson).

             Avec sa verve riche et profonde, en même temps qu’énergique et enthousiaste, sans faire mystère de ses convictions religieuses et nationalistes, le jeune homme en appelle solennellement aux valeurs humanistes d’union, de fraternité et de progrès, de la part d’« un pays qui consent encore à être le pays de Dieu ».

Monologue,n°320, Mercredi 7 décembre 1938

            Au niveau international, la situation n’a fait qu’empirer depuis l’article ci-dessus.

Le chroniqueur évoque « le fracas des villes qui s’effondrent, les détonations qui plongeaient dans l’oubli Guernica et Shangaï ». Le monologue est d’autant plus déchirant que son rédacteur de vingt-huit ans a le pressentiment que sa vie va être courte.Quoi de plus lucide et de plus poignant, en observant les lignes de sa main, que cette affirmation courageuse et ce sens de la dérision : « vingt-huit ans, c’est le bel âge, en 1938, pour qui veut faire des enfants posthumes ». Le jeune homme réalise que son choix de devenir officier de réserve, « et dans l’infanterie encore », va le propulser parmi les premiers mobilisés, donc les plus exposés. Il dénonce avec force les exactions et les crimes antisémites perpétrés par l’Allemagne nazie, sans la nommer explicitement. Des images insoutenables évoquent « des Juifs qu’on fouette et des filles qu’on viole avant de les tuer sous les yeux du père et qui crient de honte ».Il ne peut que « pleurer d’impuissance », et a la certitude de vivre dans un monde décérébré, « dans l’époque géologique où poussent les espèces folles, égaré dans le plus vivace des chaos ».

            Mais le disciple de Barrès retrouve un semblant de vigueur pour exprimer son amour à son pays et aux valeurs universelles qu’il porte. Il adresse une prière humble et lyrique à la nation en la personnifiant, avec une série d’images liées à son nom, en évoquant en particulier la langue et ses particularismes locaux, révélateurs de l’attachement qu’il porte au terroir gascon (« moi pauvre avec mon accent d’Auch »). Le patriote affirme que la France, « cause du genre humain, trône d’une idée et non parc d’une race », porte un message universel de justice, de paix à la fois laïque et religieux (« la vie humaine est sacrée, une âme vaut une âme »), etd’espoir en un avenir meilleur (« ce qui compte, c’est l’homme à l’avènement duquel tu travailles, c’est l’homme futur »). 

Le poète désemparé ne peut opposer que l’image à la fois dérisoire, admirable et paisible du « tourneur à son tour, du menuisier à son établi, faisant à chaque coup de rabot voler ces copeaux couleur de miracle, le copeau liberté, le copeau humanité, le copeau esprit ».

            Le jeune homme en est réduit à exprimer de la rancœur et de la colère à l’encontre de ses aînés qui n’ont pas pris conscience de la montée des périls. Son désespoir de futur soldat mobilisé est à la mesure des événements tragiques qu’il pressent. Il juge de manière poignante, lucide et digne son avenir sacrifié à court terme, avec son lyrisme coutumier : « Pourras-tu espérer alors, pendant que les autres riront de ta simplicité, de ta faiblesse, pourras-tu espérer, futur mort, avec ton destin tronqué, ton destin de maison qui connaîtra l’état de ruine avant d’avoir été une maison debout ? Ce n’est pas en toi que tu espères ».

Politique ? n°356, Mercredi 16 août 1939

            Pierre Petitbon retrouve sa plume foisonnante d’éditorialiste politique pour tenter une mise en perspective de la situation en France au regard des événements internationaux de plus en plus préoccupants. Une phrase, tirée de la revue  Manifeste du vitalisme (article n°73)[42], l’interpelle et inspire  sa chronique : « Bien entendu, nous ne faisons pas et ne ferons pas de politique ».

Cette attitude est à la mesure du profond désarroi qui règne dans une partie de l’élite de la société française de 1939.

            Le jeune homme constate qu’« une bonne partie de la jeunesse intellectuelle d’aujourd’hui » se dépolitise. Il rappelle l’effervescence des luttes politiques et sociales entre 1933 et 1938 en faisant référence aux cortèges de manifestants parisiens qui défilaient sur le « boulevard Saint-Michel fleuri de poings fermés, de matraques bien pensantes et de cocardes rouges »  

Puis il présente les raisons qu’il juge responsables en partie de la dépolitisation :

– la perception négative des politiciens de la IIIe République par une partie de l’opinion : les jeux délétères de la politique politicienne (« ce petit jeu qui consiste non à diriger et à gouverner, mais à combiner, à converser, à calculer, à doser, à dire le faux avec l’accent du vrai et la vérité avec l’accent du mensonge »), la corruption, les scandales (« de récents procès n’ont pas contribué à flatter le portrait que l’on se fait généralement de l’homme qui vit de la politique »)     

la médiocrité du débat, la propagande idéologique, (« si c’est servir la plus plate, la plus bête, la plus despotique des vérités officielles, et mettre sa pensée, sa liberté, son indignation, sa parole dans une musette, non merci »),

l’intolérance, les passions exacerbées génératrices de haine, les idées réduites à des slogans (« si la pensée est condamnée, dans ce domaine, à ne s’exprimer que sous forme de slogans dont les simplifications grossières sont autant d’atteintes à l’esprit critique et à l’esprit tout court[…]non merci »),

les idéologies totalitaires et leurs abjections, avec une allusion aux procès staliniens (« si, dans les procès politiques [il ne s’agit pas de la France], moins on a de raisons de condamner et plus les accusés auront commis de crimes »),

le caractère dérisoire des combats idéologiques, eu égard à leurs perversions, leurs faibles résultats ou leurs tragiques conséquences (« si le bénéfice des révolutions n’est pas tout à fait illusoire, est-il en proportion avec l’énormité des pertes consenties et des forces dépensées ? Ruines entassées sur la terre d’Espagne […] Et le militant qui aura sans faiblir défilé, redéfilé, manifesté, sifflé, vibré, chanté, gobé, cotisé, payé, fermé le poing ou tendu le bras, qu’aura-t-il au bout du compte ? Rien : ou peut-être un fusil sur l’épaule. »

l’impuissance de la politique à répondre aux préoccupations existentielles (« La pensée politique est incapable de s’élever au-dessus du domaine particulier et modeste qui est le sien et qu’elle commence où s’arrêtent les vrais problèmes : impuissante à nous guérir de la maladie, de la vieillesse, de la jalousie, de l’angoisse, de la solitude »),

 – le pressentiment que la guerre est proche (« Le souci de la situation et l’appréhension de la guerre ont éteint chez les jeunes gens toute confiance dans la politique[…]ceux qui se persuadent que l’homme est impuissant devant le destin et que la guerre de Troie aura lieu malgré les efforts des généraux pacifistes »)[43]

            Pierre Petitbon porte un regard distancié sur les incertitudes, les doutes et les crispations qui minent le débat politique, du fait de la perspective imminente d’un conflit qu’il pressent. Il est un porte-parole éclairé de l’élite de la jeunesse française, dotée d’esprit critique, humaniste et pacifiste. Elle est en même temps réaliste et consciente qu’elle risque d’être une fois de plus sacrifiée. Il avoue ne pas savoir quelle posture adopter (« Mais que faire ? »). Entre les pessimistes et les soi-disant optimistes, qui pensent qu’«on peut travailler utilement pour l’État, pour la nation ou pour le peuple en cultivant son jardin », il adopte une position médiane certes, mais qui montre qu’il a abandonné, lui aussi, toute motivation pour le combat idéologique. En ces temps incertains, il considère que « les bons fonctionnaires, les bons ouvriers, les bons docteurs » sont les plus qualifiés pour faire de la politique au sens noble, car « le pays aussi a besoin de bons jardiniers ».

            L’amertume, le dépit et le désespoir courent tout au long de cet article d’une modernité troublante, dernière contribution de Petitbon au magazine Marianne, à moins de trois semaines de la déclaration de guerre à l’Allemagne.

Dimanche 28 mai 1939 à Vic-Fezensac : commémoration du cent cinquantième anniversaire de la Révolution française

            Durant les premiers mois de l’année 1939, malgré une situation de plus en plus tendue en Europe, la France du Front populaire décide de célébrer le 150 e anniversaire de la Révolution française. Sous la houlette de la Ligue de l’Enseignement, avec l’appui du ministère de l’Éducation nationale et de Jean Zay, 2000 cérémonies et défilés filmés ou photographiés sont organisés dans toute la France. A Paris, le défilé du 14 Juillet revêt un lustre tout particulier dont le journal l’Illustration rend compte abondamment.[44] 

            Jamais à court d’idées en matière de célébration d’événements historiques, le maire de Vic-Fezensac Albert Delucq décide de commémorer l’événement à sa manière le dimanche 28 mai 1939.  Il demande à Pierre Petitbon, vicois d’adoption et acteur majeur de l’organisation des fêtes gallo-romaines du 6 juin 1937, de prononcer un discours.[45] 

             On connaît le texte de ce discours grâce à sa publication intégrale dans le BAAV de juin 1939,[46] suivie de l’édition d’un tiré à part de trente pages.[47](Illustr.14) On ne dispose d’aucun renseignement journalistique sur le lieu, le retentissement du propos et la composition du public.

            Le propos se compose de quatre chapitres, qui correspondent chacun au développement d’une thématique. Il couvre la période allant de la réunion des États généraux à la réaction thermidorienne consécutive à la chute de Robespierre.

Le premier chapitre concerne la Révolution à Vic-Fezensac, à Auch, en Gascogne et en province mise en parallèle avec la Révolution à Paris

               Pour traiter de la Révolution à Vic et dans le Gers, Pierre Petitbon se réfère aux historiens locaux (« les savants ouvrages de M. Brégail et de M. Baqué »).[48]

Il démontre que la Révolution n’est pas une pure abstraction historique déjà lointaine, car elle concerne encore la vie quotidienne des gascons de 1939, qui en sont les héritiers. De nombreuses similitudes le prouvent :

– des similitudes patronymiques : des noms de famille, dont certains encore en usage à Vic et à Auch en 1789 comme en 1939 (« Barthe, Bourdère, Cassaignoles, Corneille, Escousse, Pérez, Sentex… »),

– des similitudes physiques : un corps social bourgeois ou populaire composé d’«hommes maigres et de taille moyenne, buveurs de vin, races d’écarteurs et de soldats»,

des similitudes morales : des caractères bien trempés, prompts à se rebeller à tout moment, « sages d’une sagesse saisonnière, mais plus inflammables qu’une forêt de pins sous le soleil d’août, têtes brûlées bien faites pour être coiffées du bonnet rouge »       

Il fait état de ses racines gasconnes et de son attachement à Vic (« Je vous connais, Vicois. Je connais aussi les gens d’Auch. ») Mais la teneur de son propos concerne la nation française dans son ensemble (« Je connais aussi ces Béarnais, ces Dauphinois et ces Lorrains qui souffraient des mêmes maux que les Gascons. »)

            Il déroule certains événements marquants de la Révolution, en les rapportant au contexte gascon de manière plus ou moins romancée :

– la convocation à Vic, au son des cloches, des délégués chargés de rédiger les cahiers de doléances dans la chapelle des Pénitents Blancs,[49]  

– la réunion des États généraux le 4 mai 1789 à Versailles : on assiste au défilé des députés de la sénéchaussée d’Auch au sein de leur ordre respectif (« Blaise Sentets, de Duran et Adrien Pérez, de Mirande » pour le Tiers État, « le comte de Luppé-Taybosc, ancien mousquetaire du roi » pour la noblesse, « Monseigneur de la Tour du Pin de Montauban » pour le clergé),

– la liesse consécutive à la prise de la Bastille, avec un Te Deum à Auch le 26 juillet,

– la nuit du 4 Août qualifiée avec redondance de « Nuit admirable, plus éblouissante qu’une aurore, nuit comme tous les événements miraculeux accompagnés de prodiges »,

–  la « Grande Peur », avec son cortège de rumeurs les plus folles, (« A Saint-Clar, on annonce

4 000 brigands. A Auch 300 0000. A Vic, bien que M. Baqué ne nous le révèle point, le chiffre ne doit pas être inférieur),

l’Assemblée législative, avec notamment la guerre contre les nations européennes coalisées, qui voit l’engagement de volontaires gascons, dont certains promis à un avenir prestigieux (« L’un d’eux porte dans sa giberne son bâton de maréchal : il s’appelle Lannes »), sans omettre les vicois, dont il convient de caresser la fibre chauvine.[50]

– la Convention et la naissance de la République, avec ses courants modérés et radicaux (« Vic a sa Gironde : la municipalité d’Anthelme Cassaignoles et de Pierre Balas ; sa Montagne : la société populaire que mène le curé constitutionnel Farges »), sa politique de Terreur et ses figures locales  (« Le Gers aura son Robespierre, le représentant en mission Dartigoeyte », à l’origine d’une dizaine d’exécutions de nobles gersois à Auch, le forgeron vicois Cagnieu, « qui insultait du nom de girondin le fer qu’il martelait sur son enclume », nous dit Baqué).

– la chute de Robespierre, (« des dépêches de Paris apprennent à la société populaire d’Auch qu’un affreux complot vient d’être démasqué qui ne tendait à rien moins qu’à replonger le peuple dans son antique esclavage »).

            Mais la Révolution ne saurait être seulement envisagée sous l’angle factuel de ses principaux événements. Dans les trois autres chapitres, l’orateur montre que la Révolution, c’est d’abord un esprit et un idéal à perpétuer, malgré ses dérives, ses atrocités et ses échecs. Puis, il consacre un long développement aux espoirs suscités par le message révolutionnaire français et son universalité. Enfin, dans le dernier chapitre, il insiste sur l’impérieuse nécessité de revivifier un héritage pour faire face aux tragiques événements qui secouent l’Europe.

            Il estime qu’il est urgent de redonner du sens aux mots Liberté, Égalité, Fraternité,qui « sonnent à nos oreilles avec une vérité et une vigueur de jeunesse, secs et durs comme le claquement des pelotes basques », affirme l’orateur. Fort de cette métaphore sportive, le jeune homme décline chacun d’eux en les rapportant aux tragiques événements internationaux, qui se déroulent juste au moment de la tenue de sa conférence.

La Liberté a cédé la place à l’emprisonnement arbitraire et à l’asservissement de peuples pour des raisons hégémoniques (« quand des hommes sont arrêtés et conduits dans des cachots […] quand pleurent les tchèques sur la grande place de Prague […] quand partout triomphent l’oppression, l’imposture, la lâcheté, le camp de concentration ou la chaîne »).

L’Égalité entre les hommes est annihilée par la cruauté et la lâcheté de la doctrine suprémaciste, colonialiste et antisémite nazie (« quand une race décrète qu’elle est la race élue et que toutes les autres races doivent lui être des servantes […] quand les citoyens sont persécutés et foulés aux pieds, leurs femmes violées et fouettées parce que leur peau ne présente pas la même pigmentation, leur chevelure la même couleur que celle de leurs bourreaux »). Le message évangélique du Christ qui proclame qu’« une âme vaut une âme » est même nié, malgré la « sainteté » du mot Égalité. 

La Fraternité est foulée aux pieds par les comportements xénophobes (« quand chacun se ramasse sur soi et jette sur son voisin un regard de haine »), par les conquêtes de territoires ou les guerres civiles et idéologiques, résumées par un état des lieux (« quand le Japonais s’abat sur le Chinois, le Germain sur le Slave, l’Italien sur l’Albanais, l’Espagnol sur l’Espagne »).    

            Petitbon déplore que « l’Europe, au lieu de s’unifier, se morcelle et se rapetisse comme une prairie que trop de haies divisent ». Peut-être sa grande intelligence humaniste et visionnaire pressent-elle une ébauche de réconciliation et d’union à long terme de cette « prairie » morcelée ?Après s’être référé à Malraux, le normalien fait cette fois appel à l’écrivain allemand Ersnt-Erich Noth. [51] Il pense qu’il est urgent de « défendre, selon la belle parole de l’écrivain allemand exilé Ernst-Erich Noth, le patrimoine entier de l’humanité et non tel ou tel canton de notre histoire. »

Il montre ainsi qu’il existe en Allemagne des résistants au nazisme, aux opinions humanistes et pacifistes.

            Pour conclure son propos, il évoque la célèbre estampe du paysan portant sur son dos les deux ordres privilégiés de la noblesse et du clergé qui symbolise l’intolérance de l’injustice, « mais aussi la volonté d’élargir patiemment la condition humaine, et de soulever, comme on s’arc-boute sous une charrette embourbée, ce poids, le plus lourd que le destin impose à l’homme, et qui est lui-même ». (Illustr.15)

            Le discours de Pierre Petitbon n’est pas un exposé didactique sur l’histoire de la Révolution française, mais une réflexion sur certains de ses moments clés mis en perspective avec les événements internationaux des premiers mois de 1939. Prononcé sûrement avec l’emphase et la solennité de circonstance, il révèle la combativité et les convictions de l’orateur. 

La langue, belle et riche, est très classique. Elle est certes celle d’un homme sensible, héritier des Lumières, qui a fait ses humanités à un niveau très élevé. Mais l’érudition se manifeste dans un propos simple, un souci pédagogique d’être accessible à l’auditoire et de captiver son attention.

La métaphore, accompagnée de touches poétiques, est omniprésente. Mais le normalien est amer, car les valeurs de la Révolution ont été bafouées et reniées à maintes reprises au cours des cent-cinquante années après 1789 et elles le sont au moment où il parle. A la fois lucide et résigné,

il pressent là aussi la guerre à venir, («Peut-être convient-il de réfléchir que le péril qui menace ce pays menace aussi tout espoir d’un ordre plus juste ») d’où un dernier appel urgent à la solidarité et à la défense de l’esprit révolutionnaire, avec cet art de l’image qu’il maîtrise : « Notre devoir immédiat est de nous resserrer provisoirement autour des principes qui nous sont communs, comme autour d’un faisceau se resserrent les doigts d’une main virile ».        

En guise de conclusion et de perspectives

            La vie si courte mais si riche de Pierre-Henri Petitbon ne se résume pas à une jeunesse sacrifiée et à un destin brisé.

Des bancs du lycée d’Auch à l’agrégation de lettres, après un passage puis un retour à l’ENS, son parcours de lycéen, d’étudiant et de caïman est prestigieux et hors norme. Pur produit de la méritocratie républicaine, élevé dans le culte de la patrie, animé de fortes convictions nationalistes, en même temps que d’un profond humanisme pacifiste, il a conscience que les événements qui secouent le monde des années 1930, conduiront tôt ou tard à la guerre. C’est dans ce contexte menaçant qu’il effectue ses premiers pas dans le monde littéraire et journalistique, au sein de l’élite culturelle parisienne. Les qualités d’essayiste du jeune homme révèlent la profondeur de sa pensée, son immense culture en même temps que ses aptitudes à s’approprier les œuvres complètes de différents auteurs de son temps, comme de penseurs et d’auteurs d’une autre époque. S’ouvre alors pour lui une collaboration fructueuse au sein de magazines littéraires en vogue, et des sollicitations diverses, en particulier à Vic-Fezensac, pour écrire des textes destinés à des fêtes ou des commémorations. En vers ou en prose, la belle et riche langue classique se met alors au service de réflexions pertinentes et désabusées ou, au contraire, de créations poétiques parfois burlesques. Le jeune homme a le pressentiment que sa vie sera courte ; il mord celle-ci à pleine dents, voyage, pratique le tennis en même temps que le violon.

La mort à Dunkerque interrompt prématurément cette existence fulgurante et l’empêche de développer ses talents. S’il avait vécu longtemps, peut-être Pierre Petitbon serait-il devenu un grand poète comme Aimé Césaire, ou peut-être un philosophe réputé comme René Etiemble, ou peut-être encore un homme politique célèbre comme René Brouillet, son ami proche, ou comme un certain Georges Pompidou qui aurait déclaré que la mort de Pierre Petitbon représentait une des plus grandes pertes de la Seconde guerre mondiale. A Vic-Fezensac, en 1937, lors des Fêtes gallo-romaines, il se définissait modestement comme un faiseur de prétextes ; s’il n’a pu devenir un grand écrivain, il restera éternellement un passeur et un facilitateur de littérature.


[1] Dernière lettre de Pierre Petitbon adressée à son père le 30/05/1940 (archives familiales)

[2] Loss report du HMS Brighton Queen, par le lieutenant A.Stabts le 04/06/1940

[3] Extrait du descriptif accompagnant la demande de promotion au grade d’officier, par le président de l’association de la Légion d’Honneur du Gers.

[4] Mémoires Paulette Petitbon, (archives familiales)

[5] AD Gers

[6] Association des lauréats du Concours Général 1925 à 1932 (Vuibert)

[7] La Dépêche du 4 juillet 1926 annonce que « c’est un résultat unique dans les annales du Concours général ». Celle du 7 juillet 1927 commente son 2e prix de philosophie : « Ce succès sans précédent jette un éclat inaccoutumé sur notre vieux lycée, déjà connu par la solidité de l’instruction qu’y donnent des professeurs de valeur éprouvée. » (AD Gers)

[8] Bulletin de la Société des Amis de l’École normale supérieure n°23

[9] Cf. infra

[10] « Le concours de la rue d’Ulm, chargé de sélectionner et de promouvoir les « élites » de la République, est l’aboutissement d’un système où français, latin et grec règnent en maîtres », Jean-François Sirinelli, (Génération Intellectuelle, Fayard).

[11] « Il a justifié la réputation qu’il y a laissé au lycée : c’est un sujet d’élite qui a manifesté dans une classe de 2A les qualités les plus remarquables de vigueur, de finesse et de verve. Son coup d’essai a été un coup de maître. Je lui prédis un très brillant avenir universitaire », affirme son professeur encadrant M.Delacroix (Archives Ville de Paris).

[12] Jean-François Sirinelli, (Génération intellectuelle, Fayard)

[13] Service historique de la Défense / Vincennes

[14] Les caïmans, dans l’argot normalien, sont les normaliens diplômés qui encadrent, accompagnent et préparent les étudiants à l’agrégation. Dans le livre d’Alain Peyrefitte  Rue d’Ulm , Henri Bornecque (ENS 1892) en donne la définition suivante : «Supplément à l’histoire naturelle de Buffon : le caïman est, après le cheval, la plus noble conquête de l’homme sur la nature… »

[15] Jean Auba www.amopa.asso.fr

[16] Lettre manuscrite conservée à la bibliothèque de l’Assemblée nationale.

[17] Cf.infra

[18] Archives nationales (AN 110 AJ / 433)

[19] René Brouillet (1909-1992), comme son proche ami Petitbon, est issu de l’ENS. Membre du Conseil national de la Résistance, il introduit Georges Pompidou auprès du Général de Gaulle. Secrétaire d’Etat aux affaires algériennes en 1958, il fait une brillante carrière de diplomate, avant de siéger au Conseil constitutionnel de 1974 à 1983.

[20] Cf.infra

[21] René Etiemble (1909-2002) est issu également de l’ENS. Proche du Parti communiste français, il est un grand universitaire, reconnu comme l’un des fondateurs de la littérature comparée. Son éclectisme intellectuel le conduit à se spécialiser aussi bien dans la langue chinoise et les cultures orientales que dans la poésie de Rimbaud. Inventeur du néologisme « franglais », il milite toute sa vie pour un rapprochement des différentes cultures de l’humanité.

[22] Jean Cartault (1909-1997) a été une figure de Vic-Fezensac ; médecin généraliste très apprécié, il s’est impliqué énormément dans la vie communale en qualité d’élu ou de responsable associatif.

[23] Article « Une leçon d’histoire grandeur nature : les cérémonies et fêtes gallo-romaines du 6 juin 1937 à Vic-Fezensac » par JP Fontan (BSAHG 4e trimestre 2013 et 1er trimestre 2014).

[24] Cf. infra

[25] Historique 1ère division marocaine (Archives de Vincennes)

[26]Source familiale

[27] Société d’édition « Les Belles Lettres », 95 Boulevard Raspail, Paris. (Ouvrage en ligne sur Gallica BNF).

[28] Société des professeurs français et francophones d’Amérique. Fondée en 1904, elle accueille tous les professeurs chercheurs utilisant la langue française dans leurs travaux. Elle organise des colloques et édite la revue Nouvelles Francographies portant sur la culture francophone. (Site spffa-us.org)

[29] Voyage aux Pyrénées, Hippolyte Taine (éditions Monhélios 2002, reprise de la 3e édition de 1860, magnifiquement illustrée par des gravures de Gustave Doré).

[30] La postérité a également retenu son antisémitisme et ses prises de position antidreyfusardes. La Grande Guerre est, pour Barrès, l’occasion de se montrer un ardent zélateur de l’Union sacrée et de la guerre à outrance contre l’Allemagne, quel que soit le prix humain à payer. C’est lui qui nomme « Voie sacrée » la route reliant Bar-le-Duc à Verdun destinée à l’acheminement incessant des troupes et du ravitaillement.

[31] Banquet annuel qui rassemble, à partir de 1878, les bretons de Paris.

[32] Selon Paul Bourget, ami de Barrès et cité par Petitbon, le dilettantisme est « une disposition de l’esprit […] qui nous incline tour à tour vers les formes diverses de la vie et nous conduit à nous prêter à toutes ces formes sans nous donner à aucune». (Essais de psychologie contemporaine, Essais sur Renan).

[33] Pierre Petitbon signe souvent ses correspondances de Rô, diminutif de Pierrot.

[34] Le même RC a, semble-t-il, quelques lacunes en géographie puisqu’il introduit ainsi son propos : « C’est un tirailleur marocain qui m’envoie ce petit livre, mais d’Auch, que j’avais cru dans le Gers ! (sic) Il m’appelle le Père des Archicubes : c’est une exagération dans la manière arabe ! » Ce propos, à situer bien sûr dans le contexte colonialiste de l’époque, montre le caractère impétueux et facétieux du jeune Petitbon.

[35] Fondé en 1924, l’hebdomadaire politique et littéraire Candide se situe dans la mouvance nationaliste radicale proche de Charles Maurras , mais sa page littéraire dépasse le cadre de cette mouvance ; des auteurs de grand renom apportent leur contribution au journal (Georges Duhamel, Albert Thibaudet…), qui cesse de paraître à la Libération. (Pierre Albert, Histoire générale de la presse française, tome n°3, 1871-1940, PUF 1972).

[36] Jeannine Etiemble (Correspondance 1936-1939 René Etiemble/Jules Supervielle, texte établi, annoté, préfacé par l’auteur, SEDES p.8).

[37] L’adhésion au mouvement des jeunes de la S.F.I.O. atteste cette sensibilité.

[38] Bernard Laguerre, « Marianne et Vendredi : deux générations ? », Vingtième siècle : revue d’histoire n°22, avril-juin 1989.

[39] Emmanuel Berl (1892-1976), journaliste, historien et essayiste, a connu Marcel Proust et les surréalistes. Il s’est marié en 1937 avec la chanteuse Mireille.

[40] Articles accessibles sur le site Gallica-BNF.

[41] Articles de Marianne : pour 1938 (n°283, 23 mars ; n°292, 25 mai ; n°301, 27 juillet ; n° 308, 14 septembre ; n°314, 26 octobre ; n°320, 7 décembre ; n°322, 21 décembre), pour 1939 (n°330, 15 février ; n°335, 22 mars ; n°337, 5 avril ; n°353, 26 juillet ; n°356, 16 août)

[42] Le vitalisme est une tradition philosophique pour laquelle le vivant n’est pas réductible aux lois physico-chimiques. La vie tiendrait d’un principe ou force vitale qui dépasserait les lois de la physique et de la chimie (sitewww.histophilo.com)

[43] L’auteur détourne ici le titre de la pièce de Jean Giraudoux La guerre de Troie n’aura pas lieu, créée le 22 novembre 1935 au Théâtre de l’Athénée, avec Louis Jouvet et sous sa direction. En montrant qu’un conflit européen est inéluctable, elle met en relief le pacifisme de Giraudoux et le cynisme des politiciens.

[44] Numéro spécial de l’Illustration (n° 5028 du 15 juillet 1939).

[45] Cf. note n°22.

[46] Bulletin Armagnac agricole et viticole, dirigé par Albert Delucq.

[47] Tiré à part du BAAV, imprimé sur les presses de J.Dumoulin (H. Barthélémy directeur) à Paris en juillet 1939 par les soins d’Henri Jonquières .

[48] Pierre Petitbon a été admis à la SAHG en 1937 ; il connaît donc son président Gilbert Brégail, dont il cite l’ouvrage Le Gers pendant la Révolution (Auch 1934), et Zacharie Baqué, l’un des quatre vice-présidents, dont il cite le fascicule Histoire de Vic-Fezensac 5e partie la Révolution (Auch 1934). Instituteurs, les deux hommes ont été élus à leur poste en 1934. Entre 1929 et 1933, Gilbert Brégail publie différents articles dans le BSAHG sur la Révolution dans le Gers ; il a fait la connaissance de l’historien Albert Mathiez (Le Gers ; dictionnaire biographique de l’Antiquité à nos jours, sous la direction de G. Courtès, p. 65, SAHG 1999).

[49] Dans un corps de maisons situé au nord de l’église Saint-Pierre, aujourd’hui clinique vétérinaire.

[50] Petitbon évoque avec lyrisme la ferveur patriotique locale, sans préciser la nature de sa source : « Les Vicois s’enrôlent avec enthousiasme. Mais, particuliers comme ils le seront toujours, ils déclarent que jamais on ne les forcerait à admettre quelque autre citoyen parmi eux ou à s’incorporer dans une autre compagnie. Il évoque aussi une figure féminine haute en couleur : « cette fille Barrère, qui, revêtue de l’uniforme des chasseurs du Gers, fit campagne contre les Espagnols dans la vallée du Bastan, et, courant au plus fort du feu, immola deux ennemis à la blessure de son amant. Elle était de mœurs irréprochables, poursuit son capitaine, étant laide » (sic).

[51] Paul Albert Kranz, dit Ernst-Erich Noth (1909-1983) fuit le régime nazi et émigre dans le sud de la France en 1933 ; il collabore au journal Les Cahiers du Sud, revue littéraire créée par Marcel Pagnol. Puis il part pour les USA en 1941 où il obtient la nationalité américaine. Il mène différentes activités journalistiques, avant de revenir en France en 1963 et en Allemagne en 1970. En 1971, l’université de Francfort lui décerne le titre de docteur refusé par les nazis en 1933. Il a écrit de très nombreux ouvrages, dont la Tragédie de la jeunesse allemande et l’Allemagne exilée en France, en langue française.